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March 15, 2024

Les voix de la MPR : Karen Murkovic, Oakville ON

1_Karen_1.pngJe m’appelle Karen, et je vais vous raconter mon parcours avec la maladie polykystique rénale (MPR). On m’a diagnostiqué la MPR à l’âge de 18 ans. Je savais que c’était une maladie qui ne menaçait pas seulement ma propre santé, mais que je pouvais également potentiellement transmettre à mes enfants. Cette maladie affecte ma famille depuis des générations. Mon père a subi une greffe de rein lorsqu’il était âgé de 55 ans, donc je savais plus ou moins à quoi m’attendre par la suite. Malgré cela, j’ai décidé de vivre pleinement et j’ai connu deux fois la joie de la maternité sans aucune complication. L’un·e de mes enfants a hérité de la MPR, rappel brutal de la nature implacable de la maladie.

Au fil des années, mon parcours avec la MPR a été semé d’embûches. J’ai été hospitalisée deux fois à la suite de kystes qui s’étaient infectés, une conséquence douloureuse et dangereuse de la maladie. J’ai dû faire face à ces hospitalisations et à des problèmes de santé, ainsi qu’à d’innombrables autres infections et face-à-face avec la diverticulite (un autre cadeau de la MPR). 

C’est le moment où mon néphrologue a tracé l’évolution de mon déclin rénal, en 2019, qui a marqué un tournant décisif dans mon quotidien. Le pronostic était grave, l’insuffisance rénale était prévue pour avril ou mai 2020. Cette nouvelle m’a rappelée à la dure réalité de ma maladie; il fallait que je commence à étudier les options qui s’offraient à moi. Mon néphrologue m’a suggéré de prendre rendez-vous avec un·e chirurgien·ne vasculaire pour discuter de la création d’une fistule dans mon bras, car la dialyse péritonéale (DP) n’était pas envisageable en raison de la taille de mes reins.

2020 : insuffisance rénale et dialyse

En 2020, j’ai été confrontée à la dure réalité de l’insuffisance rénale. J’étais épuisée tout le temps, j’avais des difficultés à monter les escaliers et j’étais dans un brouillard cérébral total. Début janvier, j’ai subi une intervention chirurgicale pour créer une fistule en préparation de la dialyse. Cette procédure était essentielle à ma survie, compte tenu de l’imminence d’une insuffisance rénale. Cette fistule, véritable bouée de sauvetage, a mis des mois à mûrir, préparant le terrain aux défis à venir.

Dans les mois qui ont suivi, ma famille et moi avons suivi une formation à l’hémodialyse à domicile au centre de dialyse de l’hôpital Trafalgar d’Oakville. Cette formation de trois mois nous a permis d’apprendre énormément, mais aussi de prendre conscience de notre force collective et de notre détermination à maintenir un semblant de normalité au milieu des bouleversements. Je remercie cette merveilleuse équipe d’infirmier·ère·s dévoué·e·s qui m’a soutenue dans ma décision de recourir à l’auto-dialyse, un processus à la fois intimidant et satisfaisant, car il me donnait les rênes de mon traitement. L’équipe a compris mon désir de prendre les commandes de mon traitement. Au début, c’était terrifiant... mais je suis parvenue, à tâtons, à placer les aiguilles au bon endroit. Le soutien indéfectible de mon mari Dario durant chaque séance a été une source de réconfort et une force. Il a été mon pilier tout au long de cette épreuve et a assisté à presque toutes les séances.

En juin, la machine de dialyse, baptisée avec humour « Eric » d’après un personnage de vampire de la série True Blood, s’est mise à faire partie des meubles de ma maison. Sa présence m’a constamment rappelé ma nouvelle réalité, mais aussi ma résilience et ma capacité à faire preuve d’humour dans les moments difficiles. C’était une période très stressante.

2_Karen_2_FR.pngCe n’est qu’au début de la dialyse que j’ai été officiellement inscrite sur la liste de greffe, ce qui m’a rapprochée un peu plus de la possibilité de mener une vie au-delà des contraintes de la dialyse. Les discussions concernant les options de greffe, c’est-à-dire faire le choix entre un·e donneur·euse décédé·e et un·e donneur·euse vivant·e, ont été à la fois source d’espoir et d’anxiété. Un processus d’examen rigoureux s’en est suivi, à commencer par les analyses sanguines qui ont confirmé mon groupe sanguin (O+), ce qui a compliqué la recherche de donneur·euse·s, suivies de scanners et d’examens cardiaques.

Les résultats de ces analyses ont été mitigés : même si j’étais considérée comme candidate à une greffe, la nécessité de retirer un rein et les inquiétudes liées à la diverticulite ont ajouté une nouvelle couche de complexité à ma situation. Cette phase de mon parcours a été marquée par la triste réalité de mon état, la préparation rigoureuse à ce qui m’attendait et le soutien indéfectible de ma famille et de mon équipe de dialyse. 

2021 : la néphrectomie et la crise cardiaque

En mars, mon aventure a pris une tournure inattendue et éprouvante. L’opération que j’ai subie n’était pas qu’une simple procédure standard : elle nécessitait deux chirurgien·ne·s et était beaucoup plus complexe que ce à quoi je m’attendais. Un·e des chirurgien·ne·s a réalisé la néphrectomie, soit l’ablation d’un de mes reins, un organe massif de huit livres, reflet marquant des ravages de la MPR sur mon corps. L’autre a retiré 12 pouces de mon côlon sigmoïde, procédure rendue nécessaire par les complications de ma diverticulite, un autre volet difficile de mon parcours médical.

2_Karen_3_FR.pngJe savais que la convalescence d’une opération aussi importante allait être longue et difficile, mais je n’avais pas prévu l’obstacle supplémentaire qui m’attendait. En effet, à peine deux mois après mon opération, j’ai subi une crise cardiaque. Cet épisode a été bouleversant et effrayant, pas seulement à cause de ses implications immédiates sur ma santé, mais aussi à cause de ses répercussions sur ma quête d’un nouveau rein. À cause de cette crise cardiaque, j’ai été retirée de la liste d’attente pour une greffe et tout a été mis sur pause pendant un an. Cette nouvelle a été dévastatrice. J’avais l’impression que tous mes progrès s’étaient volatilisés en quelques secondes, et que la lueur d’espoir à laquelle je m’accrochais avait presque disparu.

Les répercussions émotionnelles de cette épreuve ont été d’une intensité sans précédent. Je m’étais préparée aux difficultés liées à l’opération et à la convalescence qui a suivi, mais la crise cardiaque et ses conséquences ont été un coup dur que je n’avais pas prévu. Le fait d’être retirée de la liste des greffes, c’était comme si l’on me disait de mettre ma vie sur pause, de mettre mes espoirs et mes projets entre parenthèses. L’incertitude quant à ce qui m’attendait était horrible. 

À la recherche d’un·e donneur·euse

Face à l’aggravation de mes problèmes de santé, je me suis retrouvée devant une impasse : je devais aller contre ma nature profonde. D’ordinaire réservée, j’avais toujours gardé mes difficultés personnelles pour moi, je ne les partageais qu’avec de rares personnes. Cependant, le besoin urgent de trouver un·e donneur·euse de rein m’a poussée à sortir de ma zone de confort et à partager mon histoire, une perspective qui m’effrayait énormément.

L’enjeu était majeur. Ma famille et moi avons passé d’innombrables heures à réfléchir et à élaborer des stratégies pour solliciter l’aide dont j’avais désespérément besoin. Nous avons décidé de commencer par notre cercle le plus proche; nous avons contacté toutes les personnes que nous connaissions, y compris les ami·e·s, la famille, les connaissances, et même les personnes que nous fréquentions à l’occasion, qui seraient ainsi mises au courant des aspects les plus intimes de ma vie.

Rien que cette idée me bouleversait complètement. Je redoutais cette vulnérabilité, le fait d’exposer ainsi mes faiblesses et mes peurs. Mais c’était une étape nécessaire, un moment clé de mon parcours où la lutte privée contre ma maladie se transformait en un appel à l’aide public. Ça a été une période difficile.

Dans le but d’élargir nos recherches, mon mari a eu l’idée de commander des autocollants personnalisés pour nos voitures. Ce n’était pas de simples autocollants, mais une véritable déclaration publique de notre quête, un appel à l’action pour celles et ceux qui les verraient. Ces autocollants symbolisaient notre détermination et notre volonté d’explorer toutes les pistes possibles pour trouver un·e donneur·euse. Là encore, nous avons tenté d’injecter un peu d’humour dans notre situation désespérée.

2_Karen_4_and_5_FR.pngMa fille a créé un site Web, kidney4karen.ca, un espace centralisé où nous pouvions partager mon histoire, fournir des informations sur le don de rein et offrir un moyen aux donneur·euse·s potentiel·le·s de nous contacter. Ce site est devenu un véritable phare dans la nuit. Une fois le site en ligne, nous avons franchi l’étape importante d’envoyer un courriel à toutes nos connaissances et d’y inclure le lien vers le site. Ce courriel était plus qu’une simple demande d’appui; c’était une invitation à participer à une aventure qui allait permettre de me sauver la vie. Puis, nous avons attendu. C’est d’ailleurs peut-être cette attente qui a été la partie la plus difficile, une période de vulnérabilité intense, au cours de laquelle nous nourrissions l’espoir qu’un superhéros ou une superhéroïne, à savoir une personne prête à faire un don salvateur, émergerait parmi les destinataires de notre message.

2_Karen_6.pngLorsque je me suis lancée dans cette aventure consistant à publiciser ma situation, les réactions que j’ai reçues ont été un mélange de surprise et de soutien. Beaucoup de gens ont été étonnés de découvrir les épreuves que je traversais en lien avec ma MPR, principalement parce que je n’en avais jamais parlé ouvertement auparavant. Cette expérience m’a appris une leçon précieuse sur le pouvoir de la vulnérabilité et l’importance de partager son histoire. Voici mon conseil aux personnes qui vivent une situation similaire : ça ne sert à rien de cacher votre situation à vos ami·e·s et connaissances. Dès le début, parlez ouvertement de votre maladie. C’est une démarche que j’aurais aimé entreprendre plus tôt, car non seulement elle éclaire les autres au sujet de votre état de santé, mais elle ouvre également la porte à un soutien et une compréhension inattendus.

Les réponses que j’ai reçues étaient encourageantes, beaucoup de personnes exprimaient leur volonté d’aider en me disant : « nous avons signé nos cartes de don d’organe, nous sommes là pour t’épauler. » Cependant, ce processus a également révélé un important manque de compréhension concernant le concept de donneur·euse vivant·e. Beaucoup ignoraient qu’il était même possible de donner un rein de son vivant, ce qui soulignait le besoin de sensibiliser la population en la matière.

Les membres de ma famille, toujours prêt·e·s à aider, se sont trouvé·e·s dans l’impossibilité de me donner leur rein en raison de divers problèmes de santé, des mélanomes aux problèmes de pression artérielle en passant par les troubles cardiaques. Environ dix volontaires se sont manifesté·e·s, chacun·e désireux·euse de me donner une deuxième chance de vivre, mais tou·te·s ont tragiquement été écarté·e·s. Chaque appel du genre « j’ai essayé, mais je ne suis pas compatible avec toi » ou « j’ai découvert que j’ai un problème de santé » était déchirant tant pour ces personnes que pour moi. Mais j’espère qu’elles savent à quel point je leur suis reconnaissante d’avoir essayé. Après chaque proposition de don qui tombait à l’eau, mon espérance s’amenuisait, remplacée par un désespoir grandissant.

Mon parcours, à l’origine teinté d’optimisme, devenait une preuve de ma résilience face aux multiples revirements de situation. C’était un rappel brutal d’à quel point il est complexe et difficile de trouver un·e donneur·euse compatible, des hauts et des bas qui ponctuent cette aventure et du fait qu’il est essentiel de faire montre tant de patience que de persévérance face à ces épreuves.

La recherche s’étend sur le globe

Puis, sans que je m’y attende, une lueur d’espoir est apparue. En effet, ma belle-sœur Dunia, qui vit en Croatie, nous demandait régulièrement si nous avions trouvé un·e donneur·euse dans notre région. Elle voulait nous aider, c’était évident, mais nous ignorions qu’il était possible d’orchestrer un don entre deux personnes de pays différents. Lorsque nous avons appris que les donneur·euse·s provenant de l’international étaient accepté·e·s, Dunia n’a pas hésité. Elle a passé les tests nécessaires en Croatie, fait traduire tous les documents et nous les a envoyés. Le fait qu’elle soit aussi O+ a ravivé mes faibles espoirs. Un nouveau souffle m’animait.

Ce parcours, avec ses hauts et ses bas, prenait un nouveau tournant, cette fois vers un horizon plein d’espoir. La volonté de Dunia à participer à ce processus, malgré la distance géographique et les obstacles logistiques, témoignait de la force des liens familiaux et de la persévérance des gens lorsqu’il s’agit d’aider un·e membre de sa famille. Son désir d’aller de l’avant a non seulement ravivé mes espoirs, mais a également souligné le potentiel de la communauté mondiale à démontrer une certaine solidarité lorsque ça compte vraiment.

2022 : retour sur la liste de greffe et faux départ

En avril, alors que je pensais que mon parcours ne pouvait pas devenir plus compliqué, j’ai rencontré une autre embûche : une douloureuse opération en vue de traiter une hernie. À cause de cet aléa, tous les tests ultérieurs étaient suspendus et j’ai été à nouveau retirée de la liste de greffe. Un coup dur, surtout après l’élan d’espoir que j’avais ressenti tout juste auparavant. Cette opération me rappelait la fragilité de ma situation et à quel point il était complexe de gérer ma santé alors que je demeurais dans l’attente d’une greffe.

Heureusement, dès le mois de mai, j’ai pu être réinscrite sur la liste, et le cycle des tests a repris. Les montagnes russes émotionnelles se poursuivaient, marquées par des moments d’espoir suivis d’obstacles redoutables. Au cours de cette phase de mon parcours, Dunia, ma belle-sœur de Croatie, s’est remise à jouer un rôle de premier plan. Elle a subi une autre série de tests en Croatie et, comme précédemment, tous ses documents et résultats devaient être traduits, ce qui ajoutait l’aspect bureaucratique à une situation déjà tendue.

Juin a apporté une vague d’excitation. Dunia est arrivée, ce qui symbolisait un pas de plus dans ma quête de rein. L’anticipation associée au fait de me rapprocher d’une opération potentiellement transformatrice était palpable. Cependant, cet élan d’optimisme a été de courte durée. Lors de l’analyse finale des anticorps, nous avons frappé un mur qui a anéanti tous nos espoirs. Les résultats indiquaient que, malgré la volonté de Dunia de me donner son rein, celui-ci n’était pas compatible avec mon organisme.

L’équipe de greffe, consciente des répercussions émotionnelles de cette nouvelle sur nous deux, nous a présenté le Programme de don croisé de reins comme solution de rechange. Ce programme offrait une lueur d’espoir, mais exigeait également une décision difficile de la part de Dunia. Elle a voulu prendre le temps de digérer ces nouvelles informations et de comprendre leurs implications, et a donc choisi de ne pas continuer la procédure sur-le-champ. Après mûre réflexion et délibération émotionnelle, elle a décidé de rentrer chez elle en Croatie en juillet en vue d’envisager les options qui s’offraient à elle.

Cette étape de mon parcours s’est caractérisée par un tourbillon d’émotions; je suis passée du désespoir lié aux complications chirurgicales à la joie du soutien familial et du potentiel d’avoir trouvé une donneuse, pour finalement me heurter à la dure réalité de l’incompatibilité biologique. Je voyais tout de même le programme de don croisé comme une piste à explorer.

L’entrée dans le Programme de don croisé de reins

Après des mois de réflexion personnelle et de discussions avec sa famille, Dunia a pris la courageuse décision de poursuivre les démarches dans le cadre du Programme de don croisé de reins. Ça a été une nouvelle monumentale qui a ravivé tous mes espoirs. Nos données ont été saisies dans la base du programme, et l’attente a recommencé. Puis, en octobre, des personnes compatibles ont été trouvées pour chacune de nous. Dunia a été contactée en premier afin qu’elle puisse confirmer qu’elle était d’accord pour aller de l’avant. Ce moment était crucial, il marquait un tournant dans notre parcours.

Le processus était entouré de secret dans le but de protéger la vie privée de tou·te·s les donneur·euse·s impliqué·e·s, et je ne recevais que très peu d’informations. Cette situation était difficile, elle ajoutait une part de mystère à un processus déjà bien chargé en émotions. Malgré les incertitudes, le fait de savoir qu’une personne compatible avait été trouvée m’offrait un mince filet d’optimisme auquel m’accrocher.

Les greffes étaient prévues pour mars 2023, ce qui impliquait de passer par une nouvelle période d’attente remplie de ses propres questionnements et inquiétudes. Le temps semblait s’étirer indéfiniment, tout paraissait pouvoir changer du jour au lendemain. La COVID était toujours omniprésente dans la communauté, et le risque qu’une personne de la chaîne de donneur·euse·s devienne infectée représentait une constante inquiétude. La fragilité de nos plans était palpable; tout problème de santé ou complication imprévue pouvait mettre le projet en péril et compromettre les greffes.

Au fil des mois, l’attente semblait interminable. Il y avait toujours la possibilité de retards ou d’annulations, de nombreux facteurs demeuraient hors de notre contrôle. Cette période d’attente a véritablement mis ma patience à rude épreuve, et m’a aussi obligée à déployer des trésors d’espoir et de résilience. L’anticipation des opérations de greffes, couplée à la peur des éventuels revers, soulignait la complexité du processus de greffe, surtout dans le contexte d’une pandémie mondiale. Pourtant, malgré tout, la perspective d’une greffe réussie demeurait au cœur de tous mes espoirs.

2023 : le don croisé

Le second voyage de Dunia au Canada, deux semaines avant la date à laquelle la greffe était prévue, a marqué le compte à rebours final d’une série d’événements que nous avions longuement anticipés. Son arrivée a donné le coup d’envoi à une autre série de tests, une étape nécessaire, mais anxiogène. Mon opération devait avoir lieu en premier, celle de Dunia étant programmée deux jours plus tard. Mon cœur était lourd d’inquiétude pour elle. L’idée de ne pas pouvoir être auprès d’elle après son opération me troublait profondément.

Le matin de mon admission à l’hôpital est flou dans ma mémoire. Je me sentais engourdie, submergée par un mélange d’émotions. Le don de soi dont faisaient preuve Dunia et la personne anonyme qui me donnait son rein dépassait presque mon entendement. Leur volonté de subir une opération en vue de me permettre de survivre témoignait de l’extraordinaire générosité de la nature humaine. 

Alors que j’enfilais la blouse d’hôpital et passais les derniers tests préopératoires, mon esprit n’était qu’un tourbillon de pensées et d’émotions. Puis, un appel inattendu et frénétique de Dunia m’a enveloppée d’un nuage d’anxiété : malheureusement, il y avait un problème avec mon·ma donneur·euse. Malgré ce contretemps, l’équipe du programme de don croisé insistait pour que Dunia aille tout de même de l’avant avec son don. Ce rebondissement était complètement inattendu; il ajoutait encore une fois de la complexité et de l’incertitude à une situation déjà tendue.

L’idée que la chaîne de dons puisse continuer malgré les problèmes de mon·ma donneur·euse direct·e était source de nouvelles préoccupations. Elle soulignait l’équilibre délicat du système du don croisé, où chaque donneur·euse et receveur·euse est un maillon crucial dans une chaîne d’opérations salvatrices. 

Quelques minutes après l’appel frénétique de Dunia, ma chambre d’hôpital s’est soudainement remplie d’une équipe d’environ cinq médecins. L’urgence de leur comportement m’a préparée à une nouvelle que je devinais peu favorable. L’équipe en est rapidement venue au fait, m’expliquant qu’un « problème technique » avait surgi et qu’il était désormais impossible pour mon·ma donneur·euse de procéder au don le lendemain comme prévu. Bien qu’on m’ait assurée que le·la donneur·euse était toujours engagé·e à donner son rein à une date ultérieure, les conséquences immédiates de cette nouvelle ont été dévastatrices.

Les répercussions émotionnelles de cette annonce étaient gigantesques. Je me souviens d’avoir eu une réaction viscérale, presque primitive à la nouvelle : un cri de désespoir qui semblait faire écho à mon tumulte intérieur. Dans ces moments, et au cours des heures qui ont suivi, ma famille et moi étions en proie à un sentiment de perte et de frustration profondes. Le parcours, déjà semé d’embûches, avait connu encore un rebondissement, nous plongeant de façon abrupte dans l’incertitude et nous laissant complètement désemparé·e·s.

Alors que nous faisions de notre mieux pour digérer cette mauvaise nouvelle, de plus amples détails ont émergé, ce qui a permis de mettre au jour la cause de l’annulation. En effet, la contamination des salles d’opération à London/Kitchener avait conduit à l’annulation généralisée des procédures chirurgicales, y compris celle de mon·ma donneur·euse. Ce n’était pas qu’un simple contretemps : le problème était grave et avait des répercussions non seulement sur nous, mais aussi sur de nombreuses autres personnes en attente de procédures qui devaient leur changer la vie. Les médecins nous ont assuré qu’il s’agissait simplement d’un report, d’un retard temporaire avant d’atteindre notre objectif, à savoir la greffe. Pourtant, à la suite d’une telle nouvelle, leurs paroles d’encouragement semblaient lointaines, une promesse vague au beau milieu de notre désespoir immédiat.

Ce moment a marqué un autre chapitre difficile de mon histoire; c’était un rappel de la fragilité de nos plans et des nombreux facteurs externes hors de notre contrôle. Même si je savais que tout allait finir par se résoudre, la douleur liée à ce retard était aiguë et illustrait de façon brutale les montagnes russes émotionnelles associées à l’attente d’une greffe.

2023 : Dunia fait un don dans le vide

À la suite de la nouvelle dévastatrice concernant mon·ma donneur·euse, toute l’attention s’est portée sur Dunia. L’équipe de greffe s’est empressée de la convoquer et de lui rappeler l’importance de sa décision, non seulement pour moi, mais aussi pour l’intégrité de toute la chaîne de don. Il fallait la rassurer sur le fait que, malgré ce contretemps, j’allais finir par recevoir un rein. Dunia se trouvait face à un dilemme déchirant : procéder à son don, sans garantie que je recevrais en retour un rein, ou se retirer et risquer de perturber la chaîne qui pourrait sauver plusieurs vies. Cette nuit-là fut l’une des plus longues et des plus difficiles que nous ayons jamais vécues, emplie d’incertitude et de peur.

Au matin, après maintes réflexions et un véritable tumulte émotionnel, Dunia a pris une décision, il faut l’admettre, incroyablement courageuse. Elle a choisi de donner son rein « dans le vide » et de faire confiance au processus et à la promesse que la chaîne de dons finirait par se rendre jusqu’à moi. Ce geste généreux a assuré que la chaîne demeure intacte. Elle est allée de l’avant avec son opération le lendemain et a donné son rein à une personne inconnue. Son courage face à une telle incertitude a été un incroyable gage de sa force de caractère et de son engagement inébranlable à aider autrui.

Pendant que Dunia était au bloc opératoire, j’ai reçu une nouvelle inattendue et exaltante : ma greffe avait été reprogrammée pour la semaine suivante. Cet appel a véritablement fait renaître l’espoir en moi au cours de cette période sombre et accablante. Cependant, la situation est restée très tendue. L’opération de Dunia, qui devait déjà durer environ sept heures, pendant lesquelles nous étions mort·e·s d’inquiétude, a été plus longue que prévu, ce qui a décuplé notre stress et nos préoccupations. Les appels avec la famille effectués pendant ce laps de temps étaient chargés d’émotion; nous luttions tou·te·s pour faire face à la complexité de nos sentiments; un mélange d’espoir, de peur, de gratitude et d’anxiété.

Le geste altruiste de Dunia et toute la palette d’émotions qu’il a induites symbolisent très bien les hauts et les bas qui jalonnent le parcours d’une personne en attente de greffe. Sa volonté de procéder au don de son rein, même s’il comportait un risque personnel et émotionnel immense, a maintenu la chaîne intacte et a ouvert la porte à la reprogrammation de mon opération. Cette période a véritablement mis en lumière les sacrifices incroyables accomplis par les donneur·euse·s, et l’équilibre délicat entre espoir et peur que les receveur·euse·s doivent tenter de trouver au cours de leur attente d’une greffe qui leur est absolument nécessaire.

Dunia a été incroyablement forte. Dès le lendemain, elle se levait et marchait : elle faisait preuve d’une grande résilience dans le cadre de sa convalescence. Son séjour de seulement trois jours à l’hôpital atteste de sa force. Une fois à la maison, elle a passé à travers sa convalescence avec une rapidité remarquable.

C’est incontestable, Dunia est ma « bonne fée ». Les mots ne suffisent pas à exprimer ma gratitude envers elle, et sa volonté de donner son rein à un·e inconnu·e, geste qui m’a permis de recevoir celui d’une autre personne une semaine plus tard. La personne qui m’a donné son rein est également devenue une héroïne dans cette mosaïque complexe de vies connectées entre elles par la générosité et un espoir commun de guérir et d’être en santé. En effet, sa décision de faire ce qui est juste, même lorsqu’il·elle aurait pu facilement se retirer du programme une fois la greffe de son·sa proche effectuée, en dit long sur l’altruisme humain et la générosité dans ce monde.

Cette expérience m’a appris que le système de don de rein, en particulier le programme de don croisé, est fragile : chaque maillon de la chaîne est vital au succès de tout le processus. La volonté de personnes comme Dunia et mon·ma donneur·euse anonyme de participer à ce système, malgré les risques et les incertitudes, est un puissant rappel des profondes retombées des actes altruistes sur la vie d’autrui. Ce programme est un réseau qui peut perdurer grâce au courage et à la générosité de personnes ordinaires qui accomplissent des actes extraordinaires, un gage de la force de l’esprit humain et des liens qui nous unissent tou·te·s.

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2023 : une nouvelle chance

Le moment tant attendu est finalement arrivé vers la fin du mois de mars et a constitué l’épilogue de mon périple des plus éprouvants. Après d’innombrables revirements de situation, moments de désespoir et montagnes russes émotionnelles, je me suis retrouvée dans la salle d’opération, prête à recevoir le rein d’une personne inconnue. J’éprouvais à la fois de l’espoir et du scepticisme. L’aventure avait laissé ses marques, et une partie de moi avait de la difficulté à croire que ce jour était vraiment arrivé. J’étais calme, peut-être trop, comme si je me préparais à une autre déception.

Cependant, au moment où j’ai ouvert les yeux dans la salle de réveil, la nouvelle que j’ai reçue n’était rien de moins que miraculeuse. Mon nouveau rein fonctionnait : il produisait déjà de l’urine. L’équipe médicale m’a assuré que tout allait bien, et cette nouvelle a ravivé l’espoir qui m’avait quittée pendant les longs mois d’attente et de contretemps.

Le lendemain matin, j’ai fait mes premiers pas. C’était beaucoup plus qu’un acte physique : c’était le début symbolique d’un nouveau chapitre de ma vie. Ces quelques pas illustraient parfaitement la résilience de l’esprit humain, les incroyables avancées de la médecine et les répercussions énormes de la générosité. 

2_Karen_8_FR.pngBeaucoup de personnes m’ont demandé si j’étais contente de ne plus avoir à faire de dialyse. C’est étrange… Je n’ai jamais éprouvé d’hostilité envers ma machine de dialyse! Je la voyais comme une bouée de sauvetage, et j’ai pleuré le jour où l’on est venu retirer « Eric » de mon foyer. Oui, j’ai dû subir des dialyses pendant trois longues années, mais, sans cette machine, je ne serais pas là où j’en suis aujourd’hui : une grand-mère on ne peut plus fière de ses trois magnifiques petits-enfants!

Le premier anniversaire de nos opérations à Dunia et à moi approche, et notre gratitude envers les donneur·euse·s, les équipes de soins médicaux et le programme de don croisé est sans limites. Nous ne faisons pas que survivre : nous vivons pleinement. Nous sommes la preuve vivante de la force de l’union entre deux personnes et de cet incroyable cadeau qu’est le don d’organe. Notre parcours souligne la fragilité de la vie, la complexité du système de greffes et la valeur incomparable de la gentillesse humaine.

La morale de l’histoire

La première et plus importante leçon que j’ai tirée de toute cette aventure est qu’une attitude positive peut avoir une grande influence sur la suite des événements. Ça ne veut pas dire que l’optimisme peut vous protéger des difficultés ou changer miraculeusement le cours des choses. Plutôt, je crois qu’il s’agit d’affronter chaque nouvelle journée armé·e d’espoir. Mon parcours a été incroyablement difficile, et marqué par des moments où maintenir ne serait-ce qu’un semblant d’optimisme me paraissait absolument impossible. Pourtant, c’était pendant ces moments-là que la notion d’espoir prenait son sens. 

Quand je repense au chemin que j’ai parcouru, je constate que les généreux·euses donneur·euse·s constituent la pierre angulaire de mon histoire. Grâce au programme de dons croisés, un réseau d’inconnu·e·s lié·e·s par la volonté de faire don d’une partie d’eux·elles-mêmes en vue de sauver autrui, la vie m’a accordé une seconde chance. Dunia, ma belle-sœur, s’est révélée être l’incarnation de l’altruisme et du courage. C’est sa décision de donner son rein par l’intermédiaire du programme de don croisé qui a enclenché les événements qui allaient finalement mener à ma greffe.

J’adresse ma plus profonde empathie et mes vœux les plus sincères de force et de succès à celles et ceux qui se lancent dans une aventure similaire. Le chemin peut être semé d’embûches, et vous vivrez probablement des moments où tout vous semblera perdu. Rappelez-vous, cependant, que dans le système fragile du don croisé réside une force inébranlable : la force de la connexion humaine et du pouvoir transformateur du don.

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Bonne chance! Je souhaite que, porté·e·s par la gentillesse des inconnu·e·s et l’esprit indéfectible des personnes qui se tiennent à vos côtés, vous atteigniez votre destination : la santé et le bonheur.

S’il vous plaît, pensez à faire un don à la Fondation canadienne de la MPR. Cet organisme constitue une source inestimable d’informations. Notre famille a contribué en passant par le programme de don de voitures usagées (via Donate a Car). Il est important soutenir les professionnel·le·s de la recherche afin qu’ils·elles puissent un jour trouver un remède à la MPR. 

Karen

mars 2024

Karen a récemment participé à notre webinaire sur le Programme de don croisé de rein, au cours duquel elle a raconté son histoire de transplantation. Vous pouvez visionner la vidéo de cet événement sur YouTube, ici.

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